LA course de l'année (3809m)

Date: 30-07-2005

Massif: Ecrins

Participants:
cordée 1: Aurélien et Ben
cordée 2: Fabrice, Vincent et moi

Horaires: 11h+1h de secours

Topo: Col des Ruillans -> Râteau W -> Râteau E -> Brèche de la Meije -> pied du Grand Doigt de la Meije (à la journée)
description C2C de la traversée du Râteau
description C2C de l'arête W de la Meije

Difficulté:
Col des Ruillans -> Râteau W (voie normale): F, mauvais regel, brassage, crevasses, un peu de glace)
Râteau W -> Râteau E (traversée flanc S): AD peu soutenu, nombreuses traversées délicates de couloirs d'éboulis
Râteau W -> Brèche de la Meije (arête E): F, arête en rocher moyen, une pente en glace, éboulis très instable sous la brèche de la Meije
Brèche de la Meije -> pied du Grand Doigt de la Meije (variante 402.2 du Labande): AD soutenu, rocher exécrable dans la variante
Pied du Grand Doigt -> Refuge de l'Aigle (par hélicos) ...
engagement IV pour l'ensemble

Remarque: parking du téléphérique de La Grave, 7h30: "si on réussit, ça va être la course de l'année" me dit Fabrice. Effectivement c'est une grosse course qui nous attend. Au programme:
J1: Col des Ruillans -> Râteau W -> Râteau E -> Brèche de la Meije -> bivouac aux vires du Glacier Carré par l'arête W
J2: Grand Pic de la Meije -> Meije Orientale -> Pavé (bivouac)
J3: Pavé -> Pic Gaspard -> descente du Pic Gaspard -> refuge du Pavé -> voiture
C'est donc avec des sacs bien lourds que nous prenons, confiants, la 1ère benne sous une petite pluie avec un ciel encombré d'énormes nuages accompagné d'un petit vent soutenu.

Remarque: Le Râteau W est vite avalé malgré un regel à chier synonyme de brassage. La traversée vers le Râteau E se passe bien, malgré une visibilité réduite nous trouvons facilement le cheminement flanc S. Sur cette traversée la difficulté est peu soutenue mais il y a pas mal de couloirs d'éboulis à traverser où l'assurage est très précaire (course dangereuse dans ces conditions, sûrement plus agréable avec de la neige). A 13h nous sommes au sommet du Râteau E tout à fait dans les temps.

Remarque: Après une courte pause nous gagnons l'antécime E et suivons l'arête rocheuse NE (rocher délicat) menant à une brèche (3610m) d'où un rappel de 50m nous permet de prendre pied sur le glacier versant N. S'ensuit une descente sur une arête en glace dure suffisament inclinée pour nous faire perdre pas mal de temps (nous restons néanmoins dans les temps pour rejoindre le Glacier Carré avant la nuit). Nous rejoignons le Glacier de la Meije vers 3400m que nous traversons pour rejoindre la Brèche de la Meije dans 50m de rocher ultra pourri: il est 17h, nous sommes à peu près dans les temps.

Remarque: Nous attaquons ensuite l'arête W de la Meije. Mince alors, j'avais cru que l'on suivrait la voie normale, qu'est ce que donc que cette arête? D'après Aurélien c'est une arête facile en III avec 2 longueurs en IV+ au départ; pas plus d'infos, c'est 2 aspis rencontrés au cours d'une de ses courses dans le coin qui lui auraient indiqué ce bon plan. D'après Fabrice ce serait côté AD selon un topo Cambon... Les 2 longueurs dures sont bien au rendez vous et Vincent, en tête, doit batailler un peu dans certains passages, mais le bon rocher n'est pas vraiment de la partie. En contrebas on aperçoit le refuge du Promontoire qui doit sûrement nous observer et se demander ce qu'on fout là à pareille heure. Après les 2 longueurs nous arrivons à un vieux relais sur corde en chanvre (ambiance!), ouf, les difficultés sont normalement passées. Grosse erreur: la suite, bien qu'en meilleur rocher, s'avère tout aussi difficile avec des pas de réta bien scabreux dans un rocher difficilement protégeable: Vincent assure en tête mais doit bien engager. On arrive finalement sur une bonne terrasse au pied d'un grand ressaut raide.

Remarque: La cordée d'Aurélien a pris un peu d'avance et a estimé l'escalade du ressaut trop difficile: ils se sont donc engagés dans une vire en rocher ultra méga pourri permettant de contourner le ressaut par la face N extrèmement raide. A chaque pas ils balancent des monstres blocs de rocher qui dévalent la face dans un vacarme assourdissant. Après une bonne heure de lutte acharnée Aurélien réussit à gagner le fil horizontal de l'arête menant au pied du Grand Doigt de la Meije. Peu emballés nous décidons de les suivre et nous engageons à notre tour dans cette traversée. Au bout d'une longueur Vincent fait relais et nous le rejoignons en purgeant copieusement la face. Putain, rien ne tient, j'ai jamais vu ça et j'en prends un sacré coup nerveusement (le fait que Fabrice m'assure d'un anneau à la main n'est pas fait non plus pour me mettre en confiance). Le relais sur 2 points semble ok mais il n'y a pas vraiment de place pour 3 et je suis en équilibre très précaire sur des blocs instables. Le temps d'échanger le matos et Vincent poursuit, me permettant ainsi de trouver un équilibre plus stable mais sur un pied uniquement.

Remarque: Vincent hésite face à la traversée d'un couloir totalement instable, puis s'engage, monte de 3-4m, et tombe! Fabrice, qui assure à l'épaule, me hurle de faire gaffe, tout va très vite, Vincent chute de 7-8m accompagné d'énormes blocs, Fabrice a tenu le coup et le relais n'a eu aucun choc. Nous crions sur Vincent qui semble bien sonné pour savoir si tout va bien; après une vingtaine de secondes qui semblent interminables Vincent nous répond qu'il a mal un peu partout mais qu'il va bien. Je ne le sens plus du tout et pense aux secours, mais à mon grand étonnement Vincent repart et réussit à faire relais 20m plus haut. Je défais mes anneaux et laisse Fabrice s'engager à son tour qui rejoint rapidement Vincent au relais. S'ensuit une discussion que j'ai du mal à entendre en raison du vent mais où je comprends vite que Vincent n'est plus du tout en état de continuer. Il est 19h45, Fabrice sort son portable, 4barres réseau SFR, et appelle les secours. Je le pressentais au fond de moi, c'est maintenant chose faite, la course est terminée.

Remarque: Je commence un peu à angoisser: je m'inquiète pour l'état de Vincent, le brouillard rêgnant sur l'arête va rendre les secours très difficiles et la nuit va bientôt tomber. L'attente est interminable, 3/4h au relais tout seul à se poser plein de questions. Heureusement le ciel se déchire et laisse apparaitre la face monstrueuse dans laquelle nous nous sommes engagés quand enfin, Rrrrrrrr, l'hélico arrive, il est 20h30. A notre grande surprise il commence par hélitreuiller Aurélien et Ben. Pourquoi donc enmener les 2 seules personnes en sécurité sur l'arête au lieu d'aller s'enquérir de l'état du blessé? Après 10minutes un secouriste est enfin déposé auprès de mes 2 compagnons de cordée qui sont enmenés à leur tour, j'arrive à me changer les idées en admirant le plus beau coucher de soleil qu'il m'ait été donné de voir: même dans les pires moments la montagne reste magnifique...

Remarque: Il ne reste plus que moi et le secouriste, séparés par 20m de corde et 4 points. "Tu te sens de monter jusqu'à moi?", "Oui, mais il va falloir bien m'assurer, ya rien qui tient!!!", "Ok, vas-y!". Dans ce terrain ultra pourri je prends mon temps en assurant chaque pas, l'hélico revient puis repart. Le secouriste me hurle "dépêche toi, on va pas y passer la nuit", je comprends vite la situation et me donne un coup de boost en m'aggripant à tout ce qui semble tenir, "allez vas-y, c'est du II!!!!". Du II mon cul, mais je speede et rejoins le relais épuisé nerveusement, l'hélico est juste au dessus de nous. "C'est bien mon gars!" me dit le secouriste, puis m'attache au treuil, coupe la corde et je m'envole en face N de la Meije, le soleil vient de se coucher, la vue est magnifique et je suis déposé au refuge de l'Aigle auprès de mes compagnons.

Remarque: Le gardien de l'Aigle est très sympa et discute un peu avec nous. Après une soupe je vais me coucher mais je ne dormirai pas de la nuit (trop de questions dans la tête). Le lever de soleil est magnifique et fait un peu oublier les péripéties de la veille. Après un rapide petit déjeuner nous redescendons dans la vallée direction Briançon où, après un court passage chez les CRS nous rejoignons Vincent à l'hopital. Tout va bien pour lui mise à part un problème à l'épaule qui va peut-être nécessiter la pose d'une broche...

Remarque: (analyse perso de la course) nous sommes 5 alpinistes expérimentés et avons tous à notre actif de nombreuses courses engagées dans ce niveau de difficulté (Aurélien et Fabrice font d'ailleurs partie du Groupe Espoir Alpinisme du Caf Chambéry), nous avons tous choisi délibérement de participer à cette aventure en toute connaissance de cause, je pense donc qu'à ce titre nous ne pouvons être traités ni d'inconscients ni de "touristes" (terme péjoratif utilisé couramment par les biens-pensants des hautes sphères montagnardes). Néanmoins nous avons fait une erreur d'itinéraire (qui n'en fait pas?) nous projetant ainsi dans un terrain d'une instabilité sans nom. Ce choix a sûrement été influencé par la fatigue nous faisant préférer une traversée d'apparence facile en rocher pourri à une escalade raide d'apparence difficile en bon rocher (ne jamais sous-estimer une course AD). Une trentaine d'années de montagne pour Vincent sans aucun incident résume bien la situation: nul n'est à l'abri et nous en sommes conscients quand nous allons là-haut.

Remarque: (CRS Briançon) un grand merci aux secouristes. Ils étaient un peu speed mais ils devaient gérer un autre secours en parallèle dans les Cerces et la nuit était sur le point de tomber

Remarque: (l'arête W de la Meije) nous avons sous-estimé cette partie de la course qui, bien que AD, n'est pas si facile que ça (la fatigue a peut-être faussé notre jugement). Voie peu parcourue d'après le Labande, 2 pitons rouillés et un vieux bout de corde en chanvre sont les seuls traces humaines que nous ayons trouvé (ambiance!). Cette voie est en passe de devenir moderne, la variante 402.2 est actuellement pourvue de coinceurs/ sangles/ cordes de rappel, néanmoins je la déconseille fortement sous peine de finir comme nous, l'itinéraire 402 strict du Labande est beaucoup plus conseillé pour les candidats éventuels...

montée vers le Col de la Girose dans un temps peu motivant au début de la traversée du Râteau Vincent et Fabrice brèche une partie des arêtes du Râteau quelques passages intéressants . . belle ambiance en arrivant au sommet E . . traversée de crevasse dans une pente en glace: tension! pas de doutes, ça grimpe sur l'arête W de la Meije Ecrins le Glacier de la Meije Vincent et Fabrice dans le piège de la face N de l'arête W (plus connu sous le nom de variante 402.2 Labande) le ciel se dégage en attendant les secours . . lever de soleil à l'Aigle le lendemain matin le Glacier de l'Homme . . joli spectaclepermettant d'oublier l'espace d'un instant l'incident de la veille . . et c'est parti pour 1800m de descente casse-pattes Goléon, Arves &Cie

La pire course d'alpinisme que j'ai pu faire et le plus beau coucher de soleil auquel j'ai pu assister...

 

Vos commentaires sur cette sortie:

fabrice (écrit le 02/08/2005 à 21:58:05)

les photos sont superbes mais n'y aurait-il pas un peu de penchage ;))

Un nain connu (écrit le 02/08/2005 à 23:02:50)

Les photos sont très belles, et le récit très bien rédigé. Même si c' était la pire course, au moins ce ne sera pas la dernière.

Niko (webmaster) (écrit le 09/01/2006 à 10:43:08)

Bon et bien je suis retourné 2 semaines plus tard refaire l'arête W et le ressaut rerminal passe bien finalement. On devait vraiment être très fatigué mentalement pour s'engager dans la variante...
Aurélien a écrit aussi un petit récit sur l'accident: à lire sur son site

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